Dans deux affaires jugées le 25 octobre 2023, la Cour de cassation rappelle que les salariés intérimaires bénéficient de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA) mise en place dans l’entreprise utilisatrice au bénéfice de ses salariés. Elle s’ajoute, le cas échéant, à celle mise en place dans l’entreprise de travail temporaire au bénéfice de ses propres salariés. La solution, rendue dans le cadre de la première PEPA, vaut à notre sens pour les deux autres moutures de ce dispositif ainsi que la prime de partage de la valeur (PPV).
Rappels sur la PEPA et la PPV
La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA), exonérée sous conditions et dans certaines limites de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu, a été instituée pour la première fois dans le contexte de la crise des « gilets jaunes » (loi 2018-1213 du 24 décembre 2018, art. 1). Sa fenêtre de versement courait du 11 décembre 2018 au 31 mars 2019.
Le dispositif a ensuite été « réactivé » à plusieurs reprises :
-la deuxième PEPA, mise en place par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 et dont le régime avait ensuite été adapté à la crise du covid-19, a pu être versée du 28 décembre 2019 au 31 décembre 2020 (loi 2019-1446 du 24 décembre 2019, art. 7 modifié ; ord. 2020-385 du 1er avril 2020, art. 1 ; loi 2020-935 du 30 juillet 2020, art. 3 ; instr. DSS/5B 2020-11 du 15 janvier 2020) ;
-puis, en 2021, une troisième mouture de la PEPA a été définie, avec un régime censé valoriser les « travailleurs de la 2e ligne », et une fenêtre de versement courant du 1er juin 2021 au 31 mars 2022 (loi 2021-953 du 19 juillet 2021, art. 4 modifié ; loi 2021-1900 du 30 décembre 2021, art. 51).
Enfin, depuis le 1er juillet 2022, un nouveau dispositif pérenne a pris le relais. Il s’agit de la prime de partage de la valeur (PPV). Largement inspirée de la PEPA, la PPV obéit néanmoins à un régime spécifique (loi 2022-1158 du 16 août 2022, art. 1 modifié ; loi 2022-1616 du 23 décembre 2022, art. 12).
Les intérimaires et la PEPA/PPV
Les lois relatives aux 2e et 3e moutures de la PEPA et à la PPV prévoient expressément qu’un intérimaire a droit aux primes mises en place par les entreprises utilisatrices auprès desquelles il est mis à disposition, dans les conditions (critère de présence, éventuel plafond de rémunération) définies par l’accord ou la décision unilatérale définissant de régime de la PEPA/PPV de chaque entreprise utilisatrice concernée.
C’est l’entreprise de travail temporaire (ETT) qui verse la prime du chef de l’entreprise utilisatrice à l’intérimaire bénéficiaire, selon les conditions et modalités fixées par l’accord ou la décision unilatérale de l’entreprise utilisatrice concernée (un circuit d’information est prévu).
Pour la première PEPA, cette règle n’était pas prévue dans la loi, mais elle avait été édictée par l’administration dans son instruction question/réponses sur le dispositif (instr. intermin. DSS/5B/5D 2019-2 du 4 janvier 2019, Q/R 1.11).
Par ailleurs, si l’ETT met en place une prime pour ses salariés permanents, elle est tenue aux mêmes règles et obligations que les autres entreprises. Elle doit donc également en faire bénéficier ses salariés intérimaires, s’ils répondent aux conditions requises.
En résumé, dans le cadre des PEPA comme de la PPV, les intérimaires peuvent, le cas échéant, bénéficier de plusieurs primes :
-du chef des entreprises utilisatrices auprès desquelles ils ont été mis à disposition ;
-de leur ETT employeur, lorsque celle-ci a mis en place la prime pour ses propres salariés.
Des intérimaires demandaient à bénéficier de la PEPA « première mouture » mise en place dans l’entreprise utilisatrice
Dans les deux affaires soumises à la Cour de cassation, des entreprises (EDF dans un cas, Allianz vie dans l’autre) avaient mis en place, par décision unilatérale, une PEPA au profit de leurs salariés, en application de la loi du 24 décembre 2018 précitée. Il s’agissait donc de la première mouture de la PEPA (celle pour laquelle la situation des intérimaires n’était pas envisagée par la loi, mais par la doctrine administrative).
Aux termes de ces décisions unilatérales, les salariés éligibles étaient ceux liés à l’entreprise par un contrat de travail au 31 décembre 2018. Les salariés intérimaires mis à la disposition de ces entreprises étaient expressément exclus du bénéfice de ces primes.
Des salariés intérimaires dans un cas, un syndicat agissant en faveur d’une salariée intérimaire dans l’autre, ont attaqué en justice l’ETT pour obtenir paiement de la PEPA de l’entreprise utilisatrice, estimant qu’ils devaient bénéficier de ces primes en application du principe d’égalité de traitement avec les salariés de cette dernière.
On notera que dans la 2e affaire (arrêt n° 22-21845), les salariés intérimaires avaient perçu la PEPA mise en place dans l’ETT, en application de la même loi.
Les juges du fond les ayant déboutés de leurs demandes, ils se sont pourvus en cassation. La Cour de cassation a censuré les décisions des juges du fond.
Les intérimaires ont droit à la PEPA mise en place dans l’entreprise utilisatrice au nom de l’égalité de traitement
Dans les deux affaires, les juges du fond avaient considéré que les salariés intérimaires n’étaient pas éligibles à la PEPA mise en place au sein des entreprises utilisatrices dans la mesure où les décisions unilatérales la mettant en place les en excluaient expressément.
La Cour de cassation censure ce raisonnement, en s’appuyant sur le principe d’égalité de traitement entre intérimaires et salariés de l’entreprise utilisatrice, sur la base d’un raisonnement déroulé en trois points :
-la rémunération perçue par le salarié intérimaire ne peut pas être inférieure à celle que percevrait dans l’entreprise utilisatrice, après période d’essai, un salarié de qualification professionnelle équivalente occupant le même poste de travail (c. trav. art. L. 1251-18 et L. 1251-43, 6°) ;
-or, la PEPA, qui constitue un accessoire payé par l’employeur, entre dans la rémunération du salarié (au sens de c. trav. art. L. 3221-3) ;
-la loi du 24 décembre 2018 ne déroge pas à l’article L. 1251-18 du code du travail (principe d’égalité de traitement).
Par conséquent, en l’espèce, les salariés intérimaires dont le contrat de mission était en cours au 31 décembre 2018 devaient bénéficier de la PEPA mise en place dans les entreprises utilisatrices, dans les mêmes conditions que les salariés permanents de ces entreprises.
Cette décision est à notre sens transposable aux 2e et 3e moutures de la PEPA ainsi qu’à la PPV, même si la question ne se pose pas véritablement pour ces primes, puisque le droit des intérimaires à ces primes du chef des entreprises utilisatrices est expressément reconnu par la loi.
Droit à la prime de l’entreprise utilisatrice même s’ils ont bénéficié de celle mise en place dans l’ETT
Dans la 2e affaire (n° 22-21845), pour débouter les salariés intérimaires de leur demande en paiement de la PEPA du chef de l’entreprise utilisatrice, les juges du fond avaient également retenu qu’ils avaient perçu la prime mise en place par leur ETT employeur. Autrement dit, l’ETT s’appuyait sur le fait qu’elle leur avait versé la prime qu’elle avait mise en place pour échapper au paiement de la prime qu’elle devait verser à ses intérimaires du chef des entreprises utilisatrices.
La Cour de cassation ne retient pas non plus cet argument.
Elle rappelle que la PEPA ne peut pas se substituer à des augmentations de rémunération ni à des primes prévues par un accord salarial, le contrat de travail ou les usages en vigueur dans l’entreprise, ni à aucun des éléments de rémunération, au sens de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, versés par l’employeur ou qui deviennent obligatoires en vertu de règles légales, contractuelles ou d’usage (loi 2018-1213 du 24 décembre 2018, art. 1, II, 4°).
La Cour en conclut que la PEPA mise en place au sein de l’ETT ne pouvait pas se substituer à celle mise en place dans l’entreprise utilisatrice. Le règlement de la PEPA en exécution de son engagement unilatéral ne dispensait donc pas l’ETT du paiement de celle instituée au sein de l’entreprise utilisatrice.
Pour les salariés intérimaires, la PEPA mise en place par l’ETT s’ajoute donc, le cas échéant, à celle mise en place dans l’entreprise utilisatrice.
Là encore, cette décision est à notre sens transposable aux 2e et 3e moutures de la PEPA ainsi qu’à la PPV, soumises au même principe de non-substitution au salaire. En tout état de cause, elle est en phase avec la doctrine administrative.